Norme CAFE : un retour en arrière est-il possible ?

Nous vous en parlions au début de cet été 2024 : la loi CAFE, en vigueur depuis 2020, risque de causer des dommages importants au secteur automobile, qui connaît déjà des jours difficiles, du fait du passage du seuil toléré de 95g de CO2/km à 81g. Une diminution attendue conséquente, qui se heurte à une réalité dure à anticiper lors de l’adoption de cette règlementation : une demande pour les véhicules électriques qui n’augmente pas à la vitesse espérée. Faisons le point.

    Une transition qui n’évolue pas comme souhaitée.

    Avec une méthode de calcul qui prend en compte à la fois le nombre de véhicules vendus et les émissions moyennes de l’ensemble des véhicules du catalogue, les constructeurs anticipent déjà deux uniques solutions : payer de lourdes amendes ou bien vendre moins de véhicules (et notamment les plus polluants). Ainsi, selon le patron de Renault et président de l’ACEA (Association des Constructeurs Européens de l’Automobile) : « nous préparons dès maintenant 2025 car nous prenons les commandes pour les voitures que nous allons livrer. Selon nos calculs, si le niveau des ventes de véhicules électriques reste inchangé, l'industrie automobile européenne pourrait se voir contrainte de payer jusqu'à 15 milliards d'euros d'amende ou renoncer à la production de plus de 2,5 millions d'unités. »  Deux solutions qui, on le comprend, ne sont pas satisfaisantes. Lors du dernier Mondial de l’Auto à Paris, du 14 au 20 octobre 2024, le président précisait même que « le marché de l’électrique progresse à la moitié de la vitesse qu’il faudrait pour respecter cette réglementation ». Une règlementation qui aurait, donc, pu être respectée, mais à condition que la demande en véhicule électrique suive une progression. Ce qui n’est pas le cas en ce moment.

    La France, moteur d’une marche arrière ?

    Toujours lors du dernier mondial, le nouveau ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie Antoine Armand maintenait que le gouvernement soutiendrait la filière automobile française. En effet, ce dernier explique dans un discours : « Il est vrai que la demande [pour des véhicules à faibles émissions] n’augmente pas aussi vite que les objectifs européens, mais, il n’est pas envisageable que des sanctions soient prononcées alors que des efforts immenses ont été réalisés. Les amendes de plusieurs milliards d’euros, à l’échelle européenne, limiteraient les objectifs et les capacités d’investissement des constructeurs dans le verdissement et auraient des répercussions sur tout l’écosystème. Nous sommes donc en train d’explorer toutes les flexibilités – en coalition avec nos partenaires européens – pour éviter de pénaliser nos constructeurs dans leurs investissements au moment le plus crucial de leur transition ». Une prise de parole qui rejoint donc la position du président de l’ACEA. Si la position gouvernementale est rassurante, est-elle suivie par l’Europe ?

    Qu’en pense l’UE ?

    Si la demande des constructeurs ne concerne pas une suppression de la réglementation CAFE mais un délai supplémentaire et plus de flexibilité sur les sanctions à venir, du côté de l’Union Européenne, et notamment de son commissaire au climat, Wopke Hoekstra, il n’est pas question de faire preuve de souplesse. En effet, lors de son audition du 7 novembre, le néerlandais a, selon le communiqué de presse, « plaidé pour le respect du calendrier convenu afin de garantir la prévisibilité pour l’industrie. Dans le même temps, il s'est engagé à lutter “férocement” pour créer un environnement économique équitable pour l’industrie automobile, l’industrie des batteries et l’industrie verte de l’UE. M. Hoekstra s’est engagé à augmenter le déploiement d’infrastructures de recharge automobile et les investissements dans le réseau électrique. Il a également appelé à ne pas revoir le cadre des biocarburants, mais à se concentrer plutôt sur l'électrification ». S’il n’est pas possible de chercher du soutien auprès du commissaire et de l’UE, la France a-t-elle des moyens de repousser ce calendrier ?

    Les recours possibles pour le report.

    Conscient des efforts et des investissements conséquents déjà déployés par les constructeurs, Bercy a d’ores et déjà déclaré vouloir « explorer toutes les flexibilités », avec les partenaires européens, pour éviter les lourdes sanctions prévues dans le cadre de cette réglementation. Aussi, les instances plancheraient actuellement sur la possibilité de recourir à l’article 122.1 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne) qui dispose que : "sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie". Sorte de « 49-3 » européen, ce dispositif permettrait de forcer le report, au moins pour un temps. De quoi tenir jusqu’à la clause de révision, prévue en 2026 ?  

    Rappel : qu’est-ce que la loi CAFE ?

    Avec pour objectif de réduire les émissions de CO2 rejetées par le secteur automobile, la loi CAFE restreint la moyenne du taux de CO2 émis par l’ensemble des véhicules de la marque, avec une pondération prenant en compte le poids moyen des voitures commercialisées. Visant les constructeurs via les véhicules qu’ils mettent à disposition des conducteurs, cette réglementation entend les obliger à inclure davantage de modèles électriques et –pour le moment, hybrides.

    Les contrevenants s’exposent, en cas de dépassements des seuils (voir ci-dessous), à des amendes importantes, de 95 € par nombre de gramme de CO2 excédentaire et par voiture vendue : les amendes peuvent donc rapidement atteindre des centaines de millions d’euros. La formule de calcul est la suivante :

    Emissions moyennes produites par tous les véhicules vendus + nombre de voitures vendues sur l’année x 95 euros

    Afin de diminuer la facture, certains constructeurs se sont rassemblés sous forme de « pool » permettant aux constructeurs qui émettent le plus de CO2 de racheter des crédits auprès de ceux qui en rejettent le moins.